
Chapitre 5 : Héritage souterrain
Chapitre 5 : L’Aube au-dessus des Secrets
Le silence, d’une profondeur nouvelle, s’était emparé de la base secrète. Il s’étirait dans les couloirs comme une bête épuisée, tremblant encore du tumulte qui venait de s’y éteindre — hurlements de sirène, crépitements de vieux circuits, gémissements éteints des fantômes du passé. Là, au centre du grand atrium baigné d’une clarté blafarde, trois ombres restaient figées quelques instants, incapables de distinguer la victoire de la simple survie.
Gabin posa une main hâtive sur sa poitrine, tâchant de calmer le tumulte qui battait avec la hâte d’un train fou. À ses pieds, Sphinx, le poil hérissé comme une minuscule armure, parcourait la salle les oreilles pointées, tel un général inspectant le champ de bataille remporté. Le Résolveur d’énigmes, lui, retirait lentement son masque – ses traits, enfin, perdaient leur théâtralité pour prendre la simple pâleur de l’émotion. On lisait dans ses yeux la fatigue de mille peurs contenues, ainsi qu’un éclat d’espoir fébrile.
Sur les écrans du monolithe, les transmissions s’interrompaient, coupant les dernières lignes d’aveux et de révélations. Les protocoles secrets s’effaçaient, absorbés dans le chapelet numérique d’une vérité rendue au monde. Seul un panneau lumineux clignotait encore, signalant la fermeture définitive des accès principaux.
Mais, tandis que Gabin s’essuyait le front sur la manche de son vieux sweat — celui qui lui portait chance à chaque chasse au trésor —, le Chef rebelle, aussi subitement qu’il était devenu humain, devint silhouette. Il profita d’un souffle d’attention détournée, se glissa vers une trappe annexe, et disparut dans la pénombre telle une ombre fuyant l’aube. Son dernier regard, cependant, s’accrocha à Gabin — non plus de haine ou de défi, mais chargé du poids indéchiffrable de ceux qui savent qu’ils viennent de perdre, sans pour autant renoncer à refaire l’Histoire, quelque part, dans quelque recoin obscur du monde.
« C’est fini ? » souffla le Résolveur, d’un ton plus humble qu’il n’en avait jamais eu, le masque balançant au bout de sa main.
Sphinx, dignement, répondit par un miaulement ferme, comme pour clore le chapitre. Mais Gabin esquissa un sourire fatigué, les yeux toujours tremblants de lucidité :
« Non… mais c’est enfin à nous d’écrire la suite. »
Ils quittèrent la salle de contrôle, gravissant les rampes en spirale dans un méli-mélo de câbles débranchés et de vieux dossiers éventrés. À chaque étage, ils refermaient derrière eux les portes, scellant des couloirs entiers dans le silence. Lorsqu’ils revinrent près du sas par lequel ils étaient entrés, le Résolveur d’énigmes s’arrêta brusquement. Il fixait la poignée, les doigts tremblants d’un choix qui s’imposait enfin à lui.
— Je ne remonterai pas. Ce lieu… c’est mon héritage, à moi aussi. J’aurais dû comprendre plus tôt qu’on ne peut ni tout effacer, ni tourner la page sans relire chaque ligne. Gabin, je… merci d’avoir su rester du bon côté de l’énigme.
Le garçon, surpris, devina dans cette phrase l’aveu d’un engagement sincère. Il tendit la main, et le Résolveur, hésitant, acheva la poignée de main qui signait leur nouveau pacte silencieux.
Sphinx fit le tour du Résolveur, frottant son museau contre la jambe du jeune homme comme pour apposer un ultime sceau d’approbation. Puis, d’une démarche pleine de majesté, il reprit la marche vers la sortie, suivi de Gabin.
D’un revers de patte, Sphinx tapota un dernier bouton au détour du tunnel, et la porte siffla, se verrouillant dans un soupir stellaire. Derrière eux, le Résolveur, déjà absorbé par l’étreinte des écrans, émergeait un peu plus en gardien auto-proclamé d’un site où justice et erreurs pèseraient éternellement l’une contre l’autre.
Au sortir du dédale, Gabin et Sphinx se trouvèrent nez-à-nez avec la fraîcheur nocturne. La brise remontait la colline par vagues, balayant le souvenir du souterrain comme on chasse les mauvais rêves. Au loin, les premières touches de l’aube griffaient le ciel, d’une lueur opaline qui promettait la fin d’un cycle de secrets. Sphinx poussa un miaulement rauque, et Gabin rit malgré ses joues marbrées de fatigue.
En haut de la colline, dominant d’un regard sage le barrage de broussailles cachant l’entrée scellée de la base, ils s’assirent côte à côte. Quelques oiseaux hardis lançaient leurs trilles, ignorant la montagne d’histoire qui dormait sous eux.
Des heures plus tard — ou peut-être juste quelques minutes longtemps attendues — Gabin sortit de sa poche le vieux carnet noir, feuilletant les pages désormais boursouflées de sueur et d’encre. Il se mit à écrire :
« Les secrets de la base souterraine : révélés. Mais le vrai mystère n’est plus dans le passé. Il est dans ce qu’on décidera d’en faire… Demain, ou après-demain. »
Sphinx, plein de solennité presque boudeuse, posa la patte sur le carnet. Gabin prit cela pour une approbation féline, ou une invite à inventer une nouvelle affaire rien qu’à eux.
Pourtant, le retour à la vie « normale » n’était pas pour tout de suite. Le téléphone de Gabin vibra. Un message s’afficha sur l’écran, avec une signature inconnue : « Croisé ton nom sur le réseau des énigmistes. Intéressé par une situation en suspens du côté du Vieux Moulin ? D’autres mystères attendent ceux qui savent écouter les ombres… »
Le garçon sentit une chaleur espiègle le traverser. L’histoire, en vérité, ne s’arrête jamais pour qui accepte de la poursuivre. Sphinx pencha sa tête, regard vif, prêt à recommencer.
Un dernier regard vers la vallée, où la brume disparut sous les doigts dorés du soleil. Puis, tout en bas, une lueur cligna dans la bouche dissimulée de la base. Un reflet, à la frontière du réel et de l’invisible, comme un clin d’œil lancé par un secret refusant obstinément de se laisser mettre à nu. Peut-être un rêve, ou… la preuve qu’aucune énigme ne livre jamais toutes ses clés.
Gabin se releva, noua son sac, et d’un ton assuré — celui d’un explorateur désormais averti —, lança à Sphinx :
« Viens, on a des mystères à débusquer. Et dans ce monde, il en restera toujours au moins un… rien que pour nous. »
Sous la lumière neuve du matin, la silhouette du garçon et du chat s’élança vers de nouvelles aventures. En bas, bien caché dans l’ombre minérale de la terre, le cœur de la base battait toujours, gardant — pour l’éternité — la promesse de secrets à moitié révélés, et de vérités jamais tout à fait closes.