
Chapitre 2 : L’Hôte des Profondeurs
Chapitre 2 : L’Épreuve du Résolveur
La lumière chancelante de la lampe de Gabin dessinait des ombres mouvantes sur la tôle bosselée et les murs suintants du tunnel. Le jeune détective, bien que tenace, n’en menait pas large. Sphinx avançait devant lui, sa queue dressée comme une boussole, flairant le moindre indice ou piège dissimulé dans la pénombre.
Soudain, derrière eux, la trappe qui les avait menés sur ce nouveau palier se referma avec un bruit claquant – impossible de revenir sur leurs pas. Un ronflement, semblable à un souffle métallique, monta de la paroi. Face à eux, deux couloirs s’ouvraient : l’un à droite, étroit, grillagé çà et là de plaques d’acier hérissées de pointes, l’autre à gauche, tapissé de carreaux aux reflets irisés, trop lisses pour être honnêtes.
« Nous sommes observés, Sphinx... et testés, » murmura Gabin, inquiet. Le chat répondit en hérissant son poil, puis fit volte-face, soudain attiré par une ombre qui se glissait entre les rayons faiblards de la lampe.
Discrètement, une silhouette jaillit du côté gauche – effilée, souple, recouverte d’une cape sombre et d’un masque orné de chiffres entrecroisés. Sa voix, modifiée par un modulateur savamment bricolé, résonna comme un défi :
« Gabin, détective. Sphinx… la légende locale. Venez-vous pour me voler la clé de la dernière vérité, ou pour échapper à la vigilance du Chef rebelle ? »
Gabin se raidit. Malgré la terreur justifiée, il ne pouvait réprimer la fascination : devant lui se tenait le Résolveur d’énigmes, adolescent insaisissable dont les exploits nourrissaient depuis des années les forums de cryptographie et les conversations feutrées des initiés.
« Je viens pour la vérité, » répondit Gabin, d’une voix plus assurée qu’il ne le sentait vraiment. « Et pour comprendre… ce que tout cela signifie. »
Le Résolveur éclata d’un rire bref et tranchant, puis désigna l’un des couloirs d’un geste de la main.
« Alors prépare-toi. Ici, seul le courage associé à l’ingéniosité ouvre la porte suivante. Les faibles sont engloutis et oubliés, les téméraires récompensés… ou mis à genoux par leurs propres failles. Marche. »
À peine eurent-ils fait cinq pas dans le couloir irisé qu’une porte métallique se referma sur eux. Immédiatement, au centre de la petite salle, un cylindre translucide s’enfonça du plafond, rempli d’un liquide sombre. Le Résolveur, derrière sa visière, tapota les commandes sur un pupitre.
« Première épreuve : la salle qui attend la bonne réponse. Trois énigmes. À chaque erreur, une vanne s’ouvre et le niveau d’eau monte. Trois erreurs… et c’est la noyade assurée. »
Gabin sentit la tension mordre son estomac. À ses côtés, Sphinx fixait le cylindre, oreilles rabattues. Mais il n’y avait plus de retour en arrière possible.
« Voici la première énigme : Je suis là dès que le temps commence, je disparais lorsque la nuit se pose, et je peux gouverner jusqu’aux rêves les plus fous. Que suis-je ? »
Gabin réfléchit à toute vitesse. Le temps… la nuit… des rêves… « L’aube ! » lança-t-il, se rappelant les vieux contes de sa mère.
Le Résolveur hocha la tête, satisfait. Aucune vanne ne s’activa.
« Deuxième épreuve : Je suis frère du silence, et pourtant je résonne dans les mémoires. On m’entend à travers le vide, mais je me tais à travers le bruit. Qui suis-je ? »
Un silence pesant tomba – Gabin fronça les sourcils.
« C’est… un souvenir ? » tenta-t-il, puis secoua la tête. Non. Puis il observa Sphinx, dont la patte gratta légèrement le sol, produisant un petit bruit. Gabin se souvint alors de ses leçons de sciences.
« L’écho ! » s’exclama-t-il, presque en haletant.
« Juste, » répondit le Résolveur, le masque impassible. Mais la dernière énigme jaillit, implacable :
« Je peux t’ouvrir mille portes, mais une fois brisée, tu ne pourras plus jamais les refermer. Je suis la clé la plus dangereuse si offerte sans prudence. »
Gabin sentit son cœur cogner. Milles portes… Sphinx frotta sa tête contre la poche du garçon, là où reposaient la clé noire et la fameuse lettre. Gabin se souvint soudain du sens figuré des phrases... Il leva la tête, le regard assuré.
« La confiance. »
Un silence lourd. Puis un déclic — toutes les vannes se fermèrent, aucune goutte ne tomba du cylindre. Le Résolveur cilla, impressionné.
« Peu franchissent cette salle. Tu n’es peut-être pas qu’un amateur, Gabin. »
Ils furent brusquement projetés de l’autre côté, dans une pièce voisine. Là, des murs tapissés de centaines de livres. Mais la bibliothèque n’avait rien d’ordinaire : chaque rangée se tordait, soufflant des mots à peine audibles, certains gémissant, d’autres susurrant des mensonges délicieux.
« Certains ouvrages mentent, » prévint le Résolveur, avançant à demi dans l’ombre. « Mais un seul, marqué d’un lys bleu, te montrera la sortie. Essaie donc de démêler la vérité de l’illusion. »
Gabin se prit au jeu, se fiant à la voix profonde de Sphinx. Dès qu’une étagère s’approchait en chuchotant « par ici, la clé », Sphinx émettait un grondement et détournait Gabin de la ruse. Après de longues minutes de fausses pistes, il perçut un faible parfum de lavande — le même que celui de la lettre mystérieuse reçue la veille — et découvrit un petit livre bleu, orné d’un lys peint avec maladresse.
Dès qu’il effleura la couverture, une trappe s’ouvrit derrière un imposant ouvrage sur la cryptographie. Ils s’y engouffrèrent ensemble, le Résolveur suivant dans un silence presque solennel.
Ils débouchèrent dans une immense salle carrelée, baignée d’une lumière blafarde artificielle, où trônait un échiquier géant. Les pièces étaient des mannequins articulés, dressés sur des socles métalliques. Chaque case semblait porter un symbole codé, et les cases noires vibraient d’un danger latent.
« Ici, les mauvais choix réveillent les sentinelles endormies, » souffla le Résolveur. « Place la reine là où elle doit être pour ouvrir le sas final, ou bien, affronte les gardiens de la nuit… »
Gabin observa l’échiquier. L’aile droite affichait la date de fondation de la base, l’aile gauche les symboles vus sur le tableau de commandes. Sphinx s’approcha d’un mannequin au pelage synthétique, sur lequel était gravée une inscription en chiffres grecs. Après quelques calculs rapides, Gabin comprit : il fallait placer la reine sur la case associée à la somme des dates trouvées dans les énigmes précédentes…
Avec une nervosité renouvelée, il déplaça la pièce. Un léger souffle d’air caressa leur visage — une porte camouflée dans le mur nord pivota.
« Bien joué, » admit pour la première fois le Résolveur d’énigmes, une pointe d’admiration filtrant sous la froideur du masque. « Mais il reste le sas inviolable. Le chef rebelle ne tolère pas d’intrus, ni d’équipes improvisées. Mais à trois, peut-être… »
Le silence s’installa. Pour la première fois, Gabin aperçut un doute passer dans les yeux du Résolveur. Sphinx, l’air fier, pivota autour d’eux, puis s’arrêta brutalement devant un mannequin fondu dans l’ombre du coin droit. Il leva la patte, révélant une fine inscription brillamment gravée :
« Celui qui lira les vérités dissimulées sous la patte du gardien trouvera la salle du dernier jugement. »
Des frissons parcoururent la colonne de Gabin. Le Résolveur, soudain moins sûr de lui, vérifia la gravure avec des doigts fébriles.
« Nous n’avons qu’une seule chance. Le Chef rebelle veille. Mais si nous unissons nos forces… Qui sait ce que nous pourrons découvrir derrière les dernières portes ? »
La fragile alliance se scella d’un regard entendu. Ensemble, ils pénétraient plus profondément dans les souterrains, vers la salle de la dernière vérité — et, peut-être, au cœur du plus grand des secrets…