Chapitre 2 : L’Extraterrestre et la Caravane Astrale
Chapitre 2 : Le Pacte de la Caravane Brumeuse
Noah avançait à tâtons, le sol spongieux réverbérant chaque pas dans un écho qui mêlait le frisson et la mélodie étrange du lieu. L’Ombre bondissait à côté de lui, ondulant et reformant ses contours comme si elle hésitait à être tout à fait humaine ou tout à fait nuage. Devant eux, la carte projetée par la pierre scintillait encore, ses chemins modulant au gré de l’imagination de Noah. Mais, sans appareils fiables, impossible de véritablement cartographier la surface ou de distinguer les pièges des passages sûrs.
Soudain, un grincement strident fendit l’atmosphère opaque. Quelque chose approchait, brinquebalant à travers la brume, accompagné d’une symphonie de cliquetis organiques et métalliques. Noah se figea, prêt à utiliser son courage comme unique arme.
Un vaisseau surgit, monté sur six longues pattes semblables à celles d’une mante religieuse mécanique. Son cockpit ovoïde oscillait à chaque enjambée. Sur la coque, des graffitis lumineux évoquaient des constellations et de malicieux visages aux regards moqueurs. D’un sas jaillit une lumière rose, puis une silhouette qui bondit souplement au sol : l’extraterrestre mesurait à peine la hauteur de Noah, mais possédait quatre bras, un kilt couvert de poches, et un casque scintillant d’antennes brinquebalantes. Deux grands yeux turquoise arboraient une étincelle de ruse :
« Halt-là, créature soyeuse et bipède ! Qui s’aventure sur la brumeuse Rive d’Oltankha sans déguisement ni ticket-zéphyr ? »
L’Ombre roula des yeux, un sourire invisible flottant dans son timbre :
« Xiluk, tu n’as rien perdu de ton sens de l’entrée théâtrale... »
Noah, intrigué malgré l’urgence, salua l’étranger :
« Je suis Noah. Je... cherche un moyen de cartographier le terrain et de rejoindre un point sûr. Mon vaisseau a crashé, et ma radio est hors service. Et vous, euh... qui êtes-vous au juste ? »
L’extraterrestre fit la révérence avec ses deux bras supérieurs et imita une trompette de cérémonie avec les deux autres :
« Xiluk, nomade bricoleur, génie fugitif et maître improvisateur du cosmos brumeux ! Première règle, Noah : ici, point d’itinéraire sans énigme. Seconde règle : méfie-toi des nuages trop dociles. »
Il regarda autour d’eux, puis posa un doigt phosphorescent sur son propre casque, s’approchant à petits bonds :
« Mon Astro-Cricket a repéré une ancienne caravane spatiale, désorientée dans la brume. J’y cache quelques outils précieux, et avec ses projecteurs, nous pourrions tracer la cartographie dont tu rêves. Mais... elle s’est endormie, bloquée par la géométrie variable de cette fichue planète. Il faudrait, comment dire… résoudre le code du champ lumineux pour la réveiller. Je te propose un marché : tu m’aides à raviver la caravane, et j’offre mes services et mes cartes astrospectrales pour t’extraire d’ici. Qu’en dis-tu, explorateur à l’étoile OSE ? »
L’Ombre sauta à côté de Noah :
« Xiluk adore les trocs tordus, mais il est diablement ingénieux. »
Noah sourit, soudain saisi par la promesse d’aventure — et rassuré de ne pas être le seul à improviser dans ce monde imprévisible :
« Marché conclu ! Mais, une question : pourquoi es-tu seul, ici ? »
Un rire nerveux agita les antennes de Xiluk.
« Disons que j’ai quitté la caravane un peu précipitamment, histoire d’esquiver... eh bien, tu verras sous peu… »
Ils traversèrent le brouillard, cheminant vers un amas de rocs translucides où dormait la caravane spatiale. Elle ressemblait à une chenille géante hérissée de panneaux solaires repliés, posée en équilibre sur des boules d’antigravité fatiguées. Autour, des filaments lumineux tissaient un labyrinthe de faisceaux.
Xiluk montra un orbe cristallin incrusté dans la coque :
« Il faut recomposer le motif du ciel, en alliant nos perspectives. L’un tourne les prismes, l’autre assemble les formes diffuses, la dernière — toi, charmante Ombre ! — manipule les reflets pour attirer les codes secrets. Facile, non ? »
Noah prit place devant le projecteur. Il plaça sa main sur un disque froid, qui suggéra instantanément dans son esprit la carte stellaire de la veille — mais les étoiles bougeaient, hésitant à se poser…
L’Ombre, de son côté, plongea une main spectrale dans les reflets, les allongeant pour façonner des silhouettes familières : une porte, une clé, le symbole OSE qui brillait sur la broche de Noah. Les lignes dansaient, se déformaient. Xiluk, agile, manipulait d’un bras une série de prismes modulaires, tandis qu’avec les autres il pianotait sur un clavier de gemmes pour inverser certains faisceaux.
Noah concentra son imagination. Si les trajectoires d’astéroïdes formaient parfois un poing ou une porte… et si, peut-être, le prisme était la poignée —
« Je crois avoir compris ! Il faut aligner le projecteur pour reproduire le motif de la broche, mais retourné dans la brume, comme un miroir... »
Il ajusta la plaque. La lumière bondit, fracturée par un prisme finement incliné par Xiluk. L’Ombre tordit le dernier rayon, et la signature OSE brilla soudain sur la carrosserie argentée.
Une vibration sourde précéda le réveil de la chenille-caravane. Les panneaux solaires se redressèrent lentement, comme les ailes d’un sphinx géant. Sur l’écran central intérieur apparut un plan détaillé de la zone, dont un couloir fléché menant vers les champs d’astéroïdes — et l’indication d’un vaisseau de secours dissimulé dans la ceinture interne !
Xiluk poussa un sifflement admiratif :
« Pas mal, terrien ! Tu viens de rendre service à la science du bric-à-brac cosmique. Et pour ma part… »
Mais un crépitement de froid balaya soudain le groupe. Un courant d’air fait de voix chuchotées enveloppa la caravane. Des nuées brumeuses formèrent sur la coque l’amorce d’un profil sévère, à mi-chemin entre égide paternelle et remous menaçant.
L’Ombre se recroquevilla instinctivement, Xiluk fit mine de chasser des insectes invisibles. Noah sentit son courage mis à l’épreuve par cette présence inédite : une silhouette se dessinait dans la vapeur, immense et changeante — une cape d’éclairs, des yeux multiples flottant comme des globes sur des volutes de vent.
Xiluk souffla à voix basse :
« Le Berger des nuages. Il déteste qu’on bouleverse le ballet des Ombres et Lumières. Il contrôle les passages… et, si on dérange trop ses plans, il peut rendre le brume éternelle. »
La voix du Berger flotta, à la fois légère et profonde, s’infiltrant dans chaque pore de l’air :
« Qui ose tracer des lignes fixes sur mes chemins mouvants ? Quelles ombres prétendent défier la danse ancienne ? »
L’Ombre serra la main de Noah :
« Il faut partir. Il y a toujours un moment où les brumes deviennent danger réel… »
Xiluk pianota sur la console :
« Je connais un raccourci ! Montez vite, et surtout... gardez l’imagination en alerte, la suite du labyrinthe n’obéit à aucune carte connue ! »
La caravane frémit, l’écoutille claqua, et Noah, son ombre — désormais tout sauf simple reflet — et leur acolyte farceur filèrent sur des rails de lumière vers la ceinture d’astéroïdes. Derrière eux, le Berger des nuages, silhouette d’un autre monde, observa leur fuite d’un œil mystérieux. La brume, elle, semblait presque les encourager à aller plus loin, là où l’aventure n’avait pas encore de nom…
Et alors que la caravane bondissait entre les ombres et les jets lumineux, Noah sut que, pour lui, l’inattendu était devenu la nouvelle route à inventer. Prochain cap : percer les secrets du champ d’astéroïdes vivants, armé d’une curiosité à toute épreuve et d’alliés plus inattendus que jamais.