Histoires pour enfants

L’Œil Secret du Labyrinthe

Histoires pour enfants

Louis, détective déterminé et méthodique, se réveille un matin dans un labyrinthe immense où chaque couloir semble doté d’une volonté propre. Avec l’aide d’un chat sarcastique et d'un ancien maître d’échecs à la mémoire vacillante, il devra élucider une série d’énigmes menaçantes, déjouer les pièges du Gardien des reliques et, surtout, retrouver la légendaire bibliothèque cachée dont les livres pourraient révéler la vérité sur ce lieu mouvant… et sur Louis lui-même.
L’Œil Secret du Labyrinthe

Chapitre 3 : La Chambre des Faux Souvenirs

Chapitre 3 : Le Miroir aux Histoires Effacées

La marche descendante leur semblait s’étirer sans fin, chaque pas sur l’escalier d’encre résonnant comme une goutte qui tombe dans une mare oubliée. La lumière oscillait, ni franche ni vaine, juste assez vibrante pour qu’on distingue la pierre froide du mur à leur droite et les arabesques tortueuses sculptées dans la rampe — chacune griffonnée d’extraits de titres dont le mot le plus important manquait toujours, escamoté, grignoté par le néant.

Lorsque Louis, le chat et le Maître d’échecs atteignirent enfin le bas des marches, un frisson parcourut le trio. La salle qui s’ouvrait devant eux formait un parfait cercle, aussi vaste qu’un amphithéâtre secret, ceinte à intervalles réguliers de hautes étagères toutes vides. Mais ce n’était pas la vacuité du lieu qui coupait le souffle : ce furent les miroirs, innombrables, enchâssés entre chaque rayonnage, si limpides qu’en s’y penchant on n’y retrouvait jamais tout à fait son visage — seulement une lueur, un double déformé, une version floue de soi, contaminée d’images étrangères.

“Joli comme une bulle de savon, sinistre comme un rêve raté,” constata le chat en étirant sa patte, feignant la désinvolture, mais dont la queue battait l’air avec nervosité.

Louis s’approcha d’un miroir, réprimant l’envie de détourner les yeux. Sur la surface d’argent, il se vit courant dans le couloir de sa vieille école, poursuivi non pas par son rival habituel, mais par… Sherlock Holmes en cape froissée, déclamant : “L’observation est la clé, jeune Louis !” D’autres reflets montraient son propre grenier, débordant de manuscrits anciens où, soudain, des animaux empaillés commençaient à dicter leur autobiographie. Un autre miroir vira au grand bleu : Louis se tenait sur le pont d’un navire, entouré du capitaine Nemo, alors qu’il tentait de résoudre une énigme marine écrite en rimes maladroites.

“Regarde-moi ça !” souffla-t-il, incrédule. “C’est moi, mais… c’est pas moi.”

Le Maître d’échecs, lui, fixait un miroir plus loin. Il s’y voyait couronné, assis devant un échiquier géant au centre d’une salle de bal sans fin. Autour, des applaudissements sans visage, comme des mains fantomatiques, l’acclamaient. Mais à chaque fois qu’il croyait gagner, la couronne disparaissait, remplacée par une brume opaque, et la partie recommençait sous une autre forme, avec encore et toujours les mêmes ouvertures, les mêmes impasses.

Le chat hésita avant de lever les yeux vers son propre reflet. Il s’attendait, peut-être, à n’y voir qu’un simple félin au port parfait — mais là, dans la glace irisée, il se trouvait soudain flanqué d’un chapeau de magicien ridicule, assis sur un trône d’arêtes de poisson. Autour de lui valsaient des souris qui racontaient, dans une langue étrange, son passé de roi-détective d’un royaume oublié. “Je n’ai jamais rêvé d’être le héros d’un conte mièvre !” s’exclama le chat, indigné mais troublé.

D’abord, ils s’amusèrent à se montrer mutuellement leurs reflets — un brin rieurs, défiant le malaise. Mais rapidement, Louis sentit ses souvenirs tangibles — le parfum de craie fraîche de la classe, le timbre grinçant de la voix de sa grand-tante — s’estomper. Chaque regard jeté au miroir le privait d’un fragment, comme des grains de sable glissant sous ses doigts.

“C’est un piège à souvenirs,” murmura le Maître d’échecs, la voix tremblante. “On se laisse fasciner, on oublie, on devient ce que ces reflets veulent, au lieu de qui nous sommes.”

“Je ne tiens pas à finir personnage d’un roman sentimental pour adolescents frustrés,” feula le chat, plis d’ironie amers dans la voix. “On sort d’ici vite, détective.”

Louis secoua la tête pour clarifier ses idées. Quelque chose n’allait pas. Son instinct d’enquêteur lui faisait reconnaître ce que le labyrinthe semblait attendre : ce n’était pas de s’incliner devant la magie de ces miroirs — c’était d’y déchiffrer ce qui manquait. Les étagères vides environnaient la pièce comme pour rappeler l’absence d’un livre, d’une histoire, d’un centre de gravité.

Il observa le cercle, puis ses compagnons. “Et si on ne pouvait sortir qu’en réparant ce centre absent ?”

Une citation, à demi effacée à la base d’un miroir, attira son regard — “Que reste-t-il du monde lorsque la dernière page se refuse à naître ?”

Le Maître d’échecs fronça les sourcils. “Ce type de question n’a qu’un but… nous faire douter que la solution existe. Pourtant, aucune énigme n’est insoluble.”

Louis examina les miroirs avec plus d’attention. Certains comportaient des petits fragments d’illustrations à peine perceptibles : là, une plume dorée, ici la silhouette d’une tour, plus loin encore l’ombre d’un chat — mais chaque scène incomplète semblait caviarder son propre sens. Les initiales “MS” gravées sous une étagère ; une phrase inachevée : “C’est à l’orée de l’—”

Le chat, qui jusque-là s’était contenté de flairer chaque recoin avec une mauvaise humeur jouée, se figea soudain. “Attendez. Je… je crois que je sens quelque chose dans l’air. Une trace, comme… comme l’arôme d’un livre que personne n’a jamais ouvert. Mais que tout le monde espère trouver.”

Louis sourit, devinant l’intuition féline en train d’œuvrer. “La salle ne montre que des souvenirs, mais efface à chaque fois le début du titre du livre manquant. Regarde les initiales et les citations — tout semble commencer par ‘M’ ou ‘S’.”

Le Maître d’échecs s’agenouilla, scrutant le socle central de la salle, où s’entrelacaient des symboles. Il discerna, sous la poussière d’oubli, des dessins de clefs, d’engrenages et, surtout, un sigle récurrent : une étoile à huit branches, frappée des lettres “MS”.

“Impossible de me l’enlever de la mémoire…” grogna le Maître. “C’est comme si on m’obligeait à me rappeler d’une partie gagnée, dont je n’aurais jamais vu le début.”

Le chat sauta sur une pile d’étagères vides, puis fixa tour à tour ses compagnons. “Je ne peux pas le prouver, mais j’ai la sensation qu’il s’agit d’un livre perdu lors de la grande nuit des bibliothèques effacées. Un livre qui parle justement de ceux qui traversent les labyrinthes sans se souvenir pourquoi ils sont venus, ni pourquoi ils veulent tant en sortir.”

“Qu’est-ce qu’on cherche, alors ? Un titre ? Une histoire ?”

D’un bond, le chat griffa légèrement la surface argentée d’un miroir. L’illusion vibra, révélant d’infimes lignes manuscrites à la place de leur reflet habituel. Louis approcha et lut, à voix basse : “Celui qui retrouve la mémoire recompose le mot essentiel. Réunis la plume, la tour et la patte.”

Louis n’hésita pas : il collecta mentalement les indices — la plume d’or, l’ombre de la tour, l’esquisse de la patte du chat. Il les désigna aux murs, prononçant chaque mot distinctement. À chaque fois, un éclat de lumière traversait la pièce.

“Mais ces symboles… ensemble, ils ne forment pas un mot, mais une idée. La plume pour l’écriture, la tour pour la mémoire, la patte pour l’ingéniosité.”

“Cela ressemble au titre d’un conte légendaire, murmura le Maître, la voix prise d’émotion : ‘Le Manuscrit des Sentinelles’… ou peut-être ‘Le Mystère du Scribe’…”

Le chat tourna sur lui-même, l’œil brillant. “Non. Ce que je sens, c’est plus ancien, plus rusé. Quelque chose comme… ‘Le Miroir aux Secrets’.”

À ces mots, une vibration profonde secoua la pièce. Tous les miroirs pâlirent simultanément ; leurs propres reflets disparurent, remplacés par une lumière argentée qui glissa le long de la pièce comme une brume rassurante. Au centre de la salle, une étagère pivota, découvrant un socle sur lequel reposait un livre à la couverture entièrement blanche.

Louis s’en saisit avec précaution. Sur la tranche enfin apparut, écrit en lettres d’encre apparente : ‘Le Miroir aux Secrets’. Lorsqu’il l’ouvrit, ses souvenirs, son enfance, ses rêves de détective, jaillirent en images vives, fusionnant avec mille autres histoires, jusqu’à ce que la vérité du lieu s’impose : la seule façon d’échapper au labyrinthe de l’oubli, c’est d’oser recomposer ce qui a été fragmenté — puis d’y inscrire, non pas ce qu’on perd, mais ce qu’on choisit de retenir.

Le chat, le poil lissé, eut un sourire mystérieux : “Heureusement que quelqu’un ici a le sens de la trame. Sinon, je serais devenu le héros d’une fable animalière, et franchement, ça ne me va pas au teint.”

Le Maître d’échecs passa ses doigts sur la couverture du livre, apaisé. “La mémoire ne se joue pas sur un seul coup, c’est l’art de combiner toutes les parties en une tapisserie cohérente.”

Soudain, sans détonation mais avec la douceur d’un rideau qui tombe, un escalier en colimaçon émergea, invisible jusque-là contre le mur du fond. Sur la première marche, était gravée la phrase : “Celui qui se souvient ose aller plus loin.”

Louis releva la tête, le cœur léger d’avoir résisté à l’oubli. D’un pas sûr, précédé par le chat redevenu espiègle, suivi du Maître dont la barbe frémissait, il s’élança vers la prochaine étape. Derrière eux, les miroirs laissèrent leur salle circulaire s’enfoncer dans un silence rempli de souvenirs retrouvés et de secrets ébauchés. Devant, la brume s’effilochait, promettant un nouvel acte, plus vertigineux encore, dans la grande bibliothèque du labyrinthe.



AccueilConcoursParticiperFun
Histoires pour enfants - L’Œil Secret du Labyrinthe Chapitre 3 : La Chambre des Faux Souvenirs