
Chapitre 2 : Les Sables Chimériques et la Chambre Inversée
Chapitre 2 : La Chambre Inversée et les Sables Chimériques
La fissure ouverte par les sphinx débouchait sur un couloir étrange, débordant d’échos et de poussière, où chaque mot semblait rebondir à contresens. Alors qu’ils progressaient, Hugo sentait la tension vibrer dans l’air : la lumière dansait le long des murs, projetant des silhouettes qui paraissaient marcher sur le plafond, ou gravir les parois. Le silence chargé de la pyramide exerçait une pression sourde, amplifiant chaque chuchotement de leurs pas.
C’est Bastet qui, d’une démarche royale, guida la petite troupe vers le gouffre qui marquait l’entrée d’une vaste salle : un trou béant encadré de hiéroglyphes torsadés, ruisselant de la phosphorescence bleutée des anciens. Arka, les mains jointes derrière le dos pour empêcher leurs éternelles gesticulations, grimaça :
— Personne n’a pensé à installer un escalier, ici ? Je propose qu’on y replonge la prochaine pyramide…
Hugo, d’un signe de tête, partagea le malaise de son compagnon. Mais le chat, imperturbable, sauta avec souplesse — et, à leur stupeur, au lieu de s’abîmer dans le vide, il atterrit la tête en bas, comme si le sol inversait les lois de la gravité.
— Mais… c’est comme s’il marchait au plafond… fit Sanaa, bouche bée.
Avec une assurance feinte — et l’estomac replié comme une enveloppe timbrée —, Hugo suivit, se laissant littéralement aspirer dans un renversement brutal. Un picotement courut le long de son dos alors qu’il retombait sur ses pieds, l’espace se contorsionnant : à présent, tout était renversé. Les dalles encensaient le plafond, tandis que le sol se couvrait de fresques astrales et de formes énigmatiques grouillant de vie figée.
Le groupe rassemblé dans la Chambre Inversée resta un instant sans voix, contemplant la splendeur surréaliste de la salle. Là, des constellations inconnues se faufilaient en lianes phosphorescentes sur les murs, fendues par des scènes de vaisseaux célestes. Un géant aux yeux d’émeraude tendait aux anciens un artefact lumineux, qui semblait pulser à même la pierre. Partout, des symboles enchevêtrés suggéraient la venue — ancienne, terrible, sacrée — d’un visiteur des étoiles.
— C’est impossible, murmura Hugo, fasciné. Ces fresques…
— C’est un avertissement !, siffla Sanaa, dont la voix prenait une dureté fébrile. Celui qui détient l’artefact ne doit pas être un simple curieux… Écoute ! Cette salle n’a pas voulu de nous, on devrait rebrousser chemin !
Elle tourna les talons, résolue à fuir, mais Bastet bondit devant elle, barré comme un sphinx miniature. Ses yeux dorés transmettaient un calme autoritaire, et par la simple courbure de son dos, une promesse de protection. Le chat émit un ronronnement sourd, puis frotta sa joue contre la jambe de Sanaa — geste d’apaisement, presque maternel. Sanaa, déconcertée, s’agenouilla sans comprendre, caressant la fourrure tiède comme cherchant à puiser du courage.
— Il ne faut pas partir, souffla Hugo, sa voix résonnant dans l’étrange acoustique du lieu. On est venus ensemble, on sortira ensemble… et Bastet semble comprendre ce que nous ignorons.
Arka, cherchant à dissiper la tension, fit virevolter un minuscule courant d’air entre ses doigts :
— Sinon, on peut toujours suivre le chat… Il a failli me sauver la vie, une fois, en déjouant un miroir dimensionnel à coup de moustaches. Histoire véridique.
Sanaa esquissa un sourire fugitif, mais la gravité de la salle reprit le dessus : l’attention du groupe fut bientôt accaparée par le centre, où trônait un gigantesque puzzle mécanique. D’immenses dalles mobiles, couvertes de symboles imbriqués, formaient une spirale ascendante — ou descendante. Impossible à dire !
Une stèle, posée de travers et faiblement illuminée, posait la règle :
« Celui qui veut comprendre le passage des astres
must aligner les clefs de la mémoire.
À chaque erreur, le désert dansera —
et ce qui est vrai sera doute, ce qui est faux, vérité. »
Hugo saisit la gravité du défi : chaque mouvement risquait d’altérer la réalité. Sanaa, indécise, la main crispée sur son foulard, lança :
— On ne bouge rien tant qu’on n’a pas compris. Des pièges anciens…
Bastet, souple comme un serpent, grimpa le long d’un pilier, effleurant une suite de symboles solaires et lunaires. Il se posta pile devant un cercle mosaïqué, y posa la patte puis regarda Hugo comme s’il attendait l’évidence.
Hugo murmurait pour lui-même, tentant de restituer les logiques antiques qu’il avait lues dans d’autres tombeaux.
— “Aligner les clefs”… Il faut combiner les constellations représentées ici et là… peut-être que les symboles du chat indiquent le point de départ : la lumière ascendante à l’équinoxe…
Il s’avança, faisant pivoter la première dalle. Un souffle de chaleur le frôla alors :
Un nuage tourbillonnant s’éleva soudain depuis le sol : une tempête de sable, où les grains, luminescents, formaient de fausses silhouettes — la sienne, en négatif ; une Sanaa d’ombres ; un Arka qui riait sans son propre son. Les murs eux-mêmes vacillaient.
— Bon, note pour plus tard : éviter la case crépuscule, marmonna Arka tout en lançant, de ses doigts, une bourrasque magique pour contenir l’assaut illusoire.
Le tableau devint confus, la réalité filandreuse : la fresque du visiteur aux étoiles semblait sortir de la pierre, agitant l’artefact, alors que les constellations tanguaient dans l’air. Sanaa se retrouva face à un mirage de son propre passé, croisant le regard d’êtres disparus…
Bastet, calme malgré la tempête, retourna à la case initiale et, de sa voix muette, redonna le cap : soleil, puis Lune, puis l’étoile isolée — la suite des cycles, immuable, éternelle. Hugo rectifia le mouvement, et la tempête s’apaisa, révélant de nouvelles lignes cachées dans la pierre.
— Si on progresse ensemble… les illusions cèdent, fit Sanaa, émue d’avoir retrouvé son équilibre grâce au chat.
Mais à la troisième étape, un son sinistre fusa dans la pièce. Le sol se couvrit d’un voile de brume, le chemin agité par les raz-de-marée d’un vent implacable. La voie de sortie — un arc de pierre mouvant — ne tenait maintenant que grâce à des nuées d’énergie crépitante, instable et insondable.
Arka s’avança, tentant de rassembler ses forces. Il caressa l’un de ses talismans : un éclat de météorite bordeaux, suspendu à une chaîne.
— Ce talisman m’a toujours sorti d’affaire… Mais si la survie du groupe prime…
Dans un demi-sourire tremblé, il tira la chaîne et lança la pierre dans la zone instable. Un éclair violet fusa : des inscriptions codées jaillirent dans l’air au-dessus de l’arche, formant un poème lumineux en langue ancienne :
« Celui qui approche du cœur d’Argon
trouvera l’œil du Gardien éveillé.
À la lueur du secret, l’espoir vacille.
Partage ou catastrophe : le choix précède la lumière. »
Le sacrifice d’Arka stabilisa la voûte mouvante, révélant la suite du passage. Dans cette lumière nouvelle, Hugo lut dans les yeux de ses compagnons – défi, crainte, mais aussi une entente profonde : chaque étape dépasse l’individu.
Bastet, dernier à franchir l’arche, s’arrêta, gratifia le groupe d’un clin d’œil appuyé, puis fit mine de chasser une ombre imaginaire – comme un gardien invisible qui les exhortait à avancer.
Derrière eux, la Chambre Inversée se refermait, avalant ses mirages et ses secrets. Mais devant, un couloir encore plus sombre attendait, imprégné de la promesse d’un duel : le vrai Gardien des reliques, dont le souffle entrechoquait déjà sables et souvenirs.
Hugo, d’une voix plus assurée qu’il ne se sentait, déclara :
— On ne recule plus. On ne fera aucun faux pas… mais on les fera ensemble. La suite de l’aventure, c’est nous qui allons l’inventer.
Leur marche reprit, portés par l’imagination, la solidarité… et la certitude que parfois, il fallait marcher la tête en bas pour retrouver le sens du monde.