
Chapitre 1 : L’Arrivée au Manoir Halliwell
La pluie avait cessé de tomber, mais l’air restait chargé de mystère alors qu’Arthur enfilait son imperméable usé, ses chaussures qui couinaient à chaque pas et, par-dessus tout, son insatiable curiosité. L’histoire du vieux manoir Halliwell flottait dans l’esprit de tous les habitants du village, mais aucun n’avait jamais osé en franchir la grille une fois la nuit tombée... Sauf peut-être Arthur.
Ce soir-là, le crépuscule transformait les contours du manoir en ombres mouvantes. Les hautes herbes du jardin chuchotaient sous la brise, les pierres disjointes du chemin semblaient vouloir piéger les pas. Arthur s’arrêta devant la porte principale, massive et gouachée de lichen, et tira son carnet d’enquêteur de la poche intérieure de sa veste. Il notait tout : bruits étranges, indices, l’adresse d’un portail grinçant et, même, la façon particulièrement louche dont le hibou voisinait près d’une fenêtre brisée. Il brandit sa lampe-tempête d’un coup sec, prêt à affronter l’inconnu.
À l’intérieur, le hall semblait figé dans le temps : des lustres éteints, pendus à la manière de guillotines oubliées, des tapis râpés qui mangent la poussière et, partout, des portraits dont les yeux vous suivent argileusement. Un froid étrange régnait autour des miroirs ternis, embrumant les reflets jusqu’à les rendre fantomatiques. Arthur sentit son courage lui picoter la nuque, mais il n’était pas de ceux qui reculent devant un mystère. Il pointa sa lampe devant lui et lança à voix basse, comme un défi :
— On raconte que tu regorges de secrets, toi… Voyons voir si tu peux me surprendre.
C’est à ce moment précis qu’un grattement feutré retentit sur le marbre fendu du hall. Une silhouette grise, furtive mais altière, surgit des ténèbres. Un chat aux yeux dorés comme deux pièces anciennes, la queue levée avec autorité, s’arrêta à ses pieds, l’examinant comme s’il jaugeait son âme.
— Tu sais que tu n’as pas quitté ta lampe allumée, petit fouineur, par simple hasard ? miaula-t-il d’une voix rauque mais limpide.
Arthur bondit à moitié, surpris, faisant valser sa lampe qui projeta des ombres saugrenues sur la tapisserie. Mais son instinct d’enquêteur reprit aussitôt le dessus :
— C’est… toi qui viens de parler ? Un chat… qui parle vraiment ?
Le félin ne se démontra ni gêné ni impressionné. Il sauta avec souplesse sur le rebord d’un meuble sculpté, ses pattes effleurant à peine la surface poussiéreuse, et plissa les yeux d’un air amusé.
— Bien sûr, je parle. Tu t’attendais à quoi ? À une armée de citrouilles dansante ? Ici, tout a un sens, même les chats. On m’appelle Esprit, gardien des lieux, protecteur de ce manoir, et plus important encore… hôte de curieux mal avisés comme toi.
Arthur sentit un frisson remuer ses doutes et son excitation. Il observa le chat avec minutie, cherchant, en bon détective, une quelconque trace de duperie : une ficelle cachée, un haut-parleur minuscule, peut-être une caméra. Mais rien. Rien, sinon ce regard d’or, paisible et perçant.
— Esprit, hein ? Tu as une drôle de façon d’accueillir les visiteurs.
Le chat pencha la tête, légèrement moqueur, et bondit à nouveau pour atterrir au centre du hall, pile sur un vieux cercle de mosaïque écaillée.
— Les visiteurs posent des questions, s’émerveillent, puis s’enfuient dès que la maison grogne un peu trop. Les curieux, eux… restent et cherchent à savoir pourquoi tout grogne et pourquoi tout s’obstine à cacher ses souvenirs.
Arthur sourit malgré lui. On ne le trompait pas si aisément et ce genre de défis avait un parfum qu’il ne pouvait s’empêcher de poursuivre.
— On raconte qu’il y a ici une salle secrète, verrouillée à double tour, inatteignable pour ceux qui n’ont pas le cœur bien accroché. Est-ce vrai ?
Le chat, précautionneusement, contourna les jambes d’Arthur, laissant dans son sillage un filet d’air un rien plus doux.
— La salle existe. Mais pour la trouver, il te faudra plus que du courage ou un carnet bien rempli. Ce manoir ne cède ses secrets qu’à ceux qui savent regarder au-delà des portes et des trappes…
Un souffle glacial coupa net leur échange. Comme surgissant du plancher même, une voix flottante, ni homme ni femme, à la fois éreintée et obsédante, envahit le hall d’un écho sinistre :
— Arthur. Ton nom résonne comme un défi lancé au manoir. Je suis le Résolveur d’énigmes, l’ombre indéfectible de ces murs. Si tu désires franchir la salle interdite, voici ce qui t’attend : trois épreuves, trois clés, trois vérités enfouies. La peur te testera, le doute te hantera et la logique seule ne suffira pas.
La lumière de la lampe vacilla, hésitant à éclairer plus loin. Arthur sentit la sueur froide perler sous ses cheveux, mais sa détermination, elle, restait inaltérable.
— Très bien, Résolveur d’énigmes, murmura-t-il avec une bravade qu’il ne pensait pas posséder. Je relèverai le défi. Guide-moi vers les épreuves.
Esprit posa une patte rassurante sur sa chaussure.
— Sois attentif, Arthur. Les mystères du passé flottent ici comme la brume au matin. Dépasser tes peurs, ce ne sera pas la moindre des énigmes. Je serai ton guide, mais la réussite ne viendra que de toi.
Quelque part, dans les ombres, les cadres des portraits frissonnèrent. Un souffle invisible fit osciller le lustre central, une pluie de poussière scintilla, comme si le manoir lui-même attendait, avide, que la partie commence.
Arthur avala sa salive. Ses doigts agrippèrent son carnet d’un geste réflexe. Il avait la sensation grisante d’être au seuil de quelque chose d’immense, un entrelacs d’indices, de pièges, de secrets – et peut-être, tout au bout, une vérité capable de sauver ou de damner le vieux manoir Halliwell.
Il lança un dernier regard à Esprit, dont les yeux dorés brillaient d’une intelligence toute particulière.
— Allons-y. Montre-moi la première étape…
Le chat prit la tête, glissant presque sur les dalles, la queue dressée en point d’interrogation, le museau en quête de l’invisible. Le couloir s’enfonçait dans l’obscurité, chaque pas plus lourd, plus irrémédiable, chaque porte semblant murmurer la promesse d’un nouvel énigme.
Mais Arthur se sentait prêt, animé d’une curiosité farouche – et la légende de la salle interdite venait, enfin, d’occuper le cœur d’une véritable aventure.